top of page
  • patrickmoreau8

Invictus

Lecture de : Claude Pigeon, Invictus : Maître de son destin, Paris, L’Harmattan, 347 p.


André Joyal

Avec un tel titre, le lecteur pourrait se dire : « Un autre livre sur le développement personnel ! (DP) ». Depuis des décennies, on en trouve par dizaines dans les grandes surfaces et pharmacies. Déjà dans les années 1960, on évoquait de façon péjorative la psychopop en l’associant en France à ce que l’on qualifie de « romans des gares » pour désigner une littérature à l’eau de rose et sans grand intérêt. Et voilà que récemment Xerficanal, sur son site web, a présenté un petit essai d’un certain Thierry Jobard pour qui le développement personnel ne serait rien de moins qu’une supercherie, car, écrit-il, «…il encourage l’épanouissement d’individus qui sont responsables de tout à 100%. De leur vie, de leurs amours, de leurs malheurs, de leur santé.[1]» Dans une certaine mesure, si cet auteur peut avoir raison de tenir de tels propos étant donné tout ce qui se publie, tout lecteur admettra connaître des ouvrages sur le DP qui l’ont marqué. J’en suis. En conséquence, je peux affirmer d’entrée de jeu que cet ouvrage de Claude Pigeon n’a rien d’une supercherie. La lecture des quelque soixante premières pages sans que je puisse en sauter une seule ligne m’en a rapidement convaincu. La suite ne m’a pas déçu non plus. Dans la jeune cinquantaine, l’auteur est doté d’une solide érudition couplée à une riche expérience de vie. Le tout a fait de lui, on me permettra un jeu de mots trop facile, un pigeon voyageur, vecteur d’un message rempli d’espoir et d’humanisme réparti ici en treize chapitres.


Longtemps avant de se consacrer à l’écriture, Claude Pigeon a été pasteur à Rimouski tout en étant chargé de cours à l’UQAR. L’intérêt pour la vie académique l’a ensuite conduit à Paris pour entreprendre des études doctorales en anthropologie religieuse à la Sorbonne et en théologie à la « Catho » jumelée à l’Université Laval. Les voies du Seigneur étant comme on sait impénétrables, le destin a transformé ce futur auteur en « curé de campagne ». Ainsi, tel un Léon Morin, il se retrouve curé à Trois-Pistoles dans un beau presbytère bien entouré de « servantes du seigneur ». Après quelques années vécues dans ce décor douillet, l’appel à relever de nouveaux défis se fit sentir. Maître de son destin, il se fait aumônier militaire en rejoignant l’armée canadienne. Il ne tardera pas à affronter le danger en Afghanistan.


Le titre de l’ouvrage met à l’épreuve la conviction véhiculée par l’islam voulant que toute personne soit tributaire de son destin : on doit s’y soumettre à ce que Dieu (Allah) veut. Est-ce mon héritage judéo-chrétien qui, une fois à l’âge adulte, m’a conduit à affirmer qu’en l’absence de malchance, l’individu est maître de son destin et que sa destinée dépend de ses choix ? L’auteur attend la page 260 avant de souligner que cette aptitude s’avère l’hypothèse de base de son livre. En fait, son objectif prend la forme d’une volonté d’aider son lecteur à devenir une meilleure personne. On y arrive en mettant en pratique une devise que j’ai toujours utilisée lorsqu’il était question de développement local : « Aide-toi et le ciel t’aidera »[2]. L’auteur évoque pour sa part un plan de vie qui « s’écrit comme on navigue en mer. On identifie sa destination, on trace l’itinéraire sur une carte et on s’ajuste sans cesse pour faire face aux conditions environnantes changeantes et parfois inattendues. » ( p. 38)


Son chapitre 3, intitulé « Le développement personnel » contient en exergue une superbe citation de John Lennon qui aurait répondu à un instituteur curieux de savoir ce qu’il souhaitait être plus tard : « Je veux être heureux ». L’instit lui aurait alors dit qu’il n’avait pas compris sa question… Vraiment ?


À la fin de chacun des chapitres, le lecteur est invité à répondre à un petit questionnaire. L’auteur de ces lignes a répondu à celui qui clôt ce chapitre pour se convaincre que le mode de vie qui est le sien, depuis plus de cinquante ans, correspond aux recommandations de l’ouvrage.


Le chapitre suivant se termine par un tableau synthèse présentant les neuf dimensions de la vie humaine, dans une approche qui se veut holistique et équilibrée. Chacune fait l’objet d’un chapitre : physique - émotionnelle - sociale - spirituelle - intellectuelle - familiale - professionnelle - financière - sexuelle. L’auteur convient que : personne n’est en mesure d’arriver à un parfait point d’équilibre où le même temps et la même énergie seraient consacrés à chacune des dimensions de sa vie ». (p. 94). À ses yeux, ce serait même inquiétant, l’équilibre évoluant sans cesse.


Le chapitre 5, « La dimension de la santé physique », m’a particulièrement touché à l’heure où on remet en question le nombre hebdomadaire de verres de vin qu’il serait sage de ne pas dépasser[3]. Il débute par une citation de Platon, tirée des Charmides : « On ne doit pas soigner le corps séparé de l’âme (…) il faut commencer par soigner l’âme… ». Quant à Socrate, selon l’auteur, il aurait devancé Molière qui, dans L’avare, soutient qu’« [i]l faut manger pour vivre et non vivre pour manger » (p. 112). Bien d’accord, mais ici je reprends la réplique de Louis de Funès qui refusait d’aller vivre sur Oxo où, pour vivre, on ne suce que des cailloux[4]. Le lecteur intéressé par la bonne cuisine trouvera une référence à la truculente Sœur Angèle à qui se joindra, dans un autre registre, la non moins délurée Sœur Marie-Paule Ross dans l’avant-dernier chapitre.


C’est cependant le chapitre suivant, « La dimension de la santé émotionnelle », qui m’a le plus touché en m’offrant l’occasion de me reconnaître. On y lit une citation d’Einstein : « La vie, c’est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre. » Che Guevara a dû s’en inspirer pour dire que la révolution a les mêmes exigences qu’une bicyclette. Pigeon, dans ce chapitre, souligne l’importance d’un mode de vie où « être » compte plus qu’« avoir ». Le lecteur pourrait dire que tout bon curé connaît l’image du riche qui ne peut franchir le chas de l’aiguille. En employant plutôt une expression des années 1980, on évoque ici un mode de vie alternatif que d’aucuns associent à la simplicité volontaire qui reprend du poil de la bête avec le concept de décroissance mis en évidence afin de contrer les changements climatiques. D’ailleurs, l’auteur se réfère à Serge Mongeau qui, après avoir assumé le leadership du planning familial, s’est réfugié un temps sur l’île d’Orléans, se faisant voisin de Félix Leclerc pour cultiver son jardin et vivre sans voiture. Mais, comme la vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille, en présence de problèmes, n’ayant de cesse de se rapporter à la pensée positive, sans la nommer, Pigeon, fredonne Tout va très bien Madame la marquise. Ça marche à tout coup ! signale-t-il (p. 155). Comme le disait aussi bien ma mère : « Quand ça va mal, faut pas se faire des accroires ! »


Avec les deux chapitres qui suivent, l’auteur s’applique à démontrer le rôle crucial des réseaux. Pour être très sociaux, ces réseaux dont il parle n’ont rien à voir avec ceux qui, à partir de la Silicone Valley, ont pris une dimension démesurée. On ne peut être maître de son destin en l’absence de réseau relationnel : la famille, les amis, les collègues, voire de simples étrangers. Comme le mentionne un proverbe africain : pour marcher loin, il faut marcher ensemble. « Mais, quelle que soit la forme, il est certain qu’un réseau social dynamique et diversifié représente un atout majeur pour vivre longtemps et en bonne santé… » (p. 200). Un tel atout se vérifie auprès de professeurs d’université qui, à peine six mois après leur mise à la retraite, doivent recourir aux antidépresseurs, vivant mal à la fois leur solitude et la perte de leur identité faute de poursuivre leurs activités à l’intérieur de réseaux[5].


La sexualité étant la neuvième dimension d’une vie équilibrée, l’auteur, malgré son vœu de chasteté, évite d’aborder le sujet à travers des généralités aussi prévisibles que superficielles. Au contraire, par sa culture et sa sensibilité, il brosse de la vie sexuelle un tableau accompagné de références très variées parmi lesquelles alternent des articles scientifiques pointus et des émissions de télévision telle Si on s’aimait animée par la sexologue Louise Sigouin. Il aurait pu ajouter L’amour est dans le pré, en occultant, bien sûr, Occupation double. Car, comme il l’écrit, malgré ce que propose les boutiques spécialisées, au-delà de la technologie, la sexualité ne doit pas éviter la relation amoureuse. Mais, voilà que je n’ai pu réprimer un sourire en retrouvant, après Sœur Angèle, une autre religieuse qui elle aussi ne manque pas de rrrrouler les « R » : Sœur Marie-Paule Ross qui fut un temps l’égérie de Denis Lévesque sur les ondes de TVA[6]. Opposée à une sexualité de consommation, on lit qu’elle propose une sexualité épanouie où s’unissent les valeurs humaines, spirituelles et sociales.


Comme il le fait dans un autre chapitre à propos des actes de pédophilie qui entachent l’Église, Pigeon n’occulte pas les problèmes liés aux agressions sexuelles au sein des forces armées. Il fait sienne la conception féministe du consentement en signalant l’importance qu’elle trouve place dans les programmes d’éducation. Son ouverture d’esprit s’étend au respect des droits des gens appartenant au mouvement LGBTQ2+ au sein duquel se trouvent pour moi des catégories inconnues telles celle des aromantiques, des allosexuels, des demisexuels, des greysexuels, des pansexuels, des sapiosexuels, des skiolosexuels, chacune ayant son vis-à-vis féminin. L’ajout d’un « + » laisse croire que d’autres types sont à venir.


Les 303 notes de bas de page attestent de l’érudition de l’auteur. Parmi cet ensemble de références, on le devine bien, les sites web ne manquent pas. Étant donné que la plupart ont été consultés dans la troisième semaine de janvier 2022, on imagine qu’il s’agissait alors d’une ultime révision d’un manuscrit prêt à être livré à cet éditeur parisien qui m’est bien familier.


Si l’espérance est une vertu théologale, l’auteur évite d’imposer au lecteur ses convictions religieuses. Indéniablement, athées et croyants y trouveront leur compte.










[1] https://www.xerficanal.com/strategie-management/Benoit-Heilbrunn-la-supercherie-du-developpement-personnel-_3749534.htlm [2] En économie, on remplace le ciel par l’État qui fournit son aide à ceux qui le méritent. [3] Depuis mon arrivée en Bourgogne, en octobre 1971, j’avais l’habitude d’accompagner mon repas du soir de deux verres de vin rouge… [4] Dans le film La soupe au chou. [5] Ce sort m’a été épargné grâce à des réseaux toujours actifs développés au Québec, au Brésil, en France et en Algérie depuis bientôt vingt ans. [6] Cependant, c’est un entretien radiofusé de RC écouté les deux mains au volant qui m’est alors venu à l’esprit. Fort habilement animé par Michel Lacombe, Il mettait en présence, pendant trente minutes, Marie-Paule Ross, que l’on imagine sans expérience pratique, et son contraire la «bimbo» Anne-Marie Losique. Peut-on imaginer échange plus surréaliste? Or, les deux gentes dames se sont entendues comme larrons en foire. Seule divergence, la religieuse disait croire en l’homme alors que la réalisatrice d’émissions «ole-ole» semblait plus pessimiste.

bottom of page