Lecture de : Mario Polèse, Le miracle québécois, Boréal, 2021, 332 p.
L’ouvrage, au titre aussi étonnant qu’accrocheur, n’a pas tardé à recevoir un accueil favorable de la part de certains médias. Le Devoir y a consacré une pleine page avec la photo de l’auteur, alors que La Presse en a publié un extrait. Pour sa part, Jacques Lanctôt dans le Journal de Montréal l’a commenté favorablement, mais non sans souligner sa vision trop optimiste compte tenu de la situation du français à Montréal.
Il faut dire que Mario Polèse n’est pas inconnu. Il a fait partie des proches conseillers du gouvernement de René Lévesque dès son arrivée au pouvoir. Il poursuit toujours sa collaboration avec certains médias, et ce depuis son embauche par ce qui allait devenir l’INRS urbanisation, culture et société. Né au Pays-Bas peu de temps après la bataille de Stalingrad, de parents autrichiens ayant fui l’Anschluss. Comme les prénoms néerlandais aux yeux de son père étaient trop compliqués, il opta pour un prénom italien, sans savoir la bonne fortune qu’en tirerait son fils près de trois décennies plus tard.
Après la guerre, la famille Polese (sans accent) s’installa à New York où leur fils fera ses premières études universitaires. Attiré par les questions urbaines et régionales, Mario Polèse opta pour faire son doctorat à l'Université de Philadelphie, au sein de ce qui était alors La Mecque dans ce domaine. Durant ses études, son père lui fera connaître le Québec où il pourra obtenir des emplois d’été. Une fois son diplôme en poche, sachant les portes du Québec de 1969 grandes ouvertes pour tout diplômé, sa décision de traverser la frontière de façon définitive fut facile à prendre. Un de ses premiers gestes fut d’ajouter un accent à son patronyme pour « faire québécois » étant déjà avantagé par un prénom d’usage courant au Québec (inutile de chercher en France des «Mario» parmi les Dupont-Lajoie).
Pourquoi parler de miracle? « C’est de ce miracle que je veux parler dans cet essai : le passage d’un peuple autrefois fermé, inquiet, doutant de lui-même, à un peuple qui se sent aujourd’hui à l’aise dans sa peau, un peuple moderne (…) capable d’intégrer des citoyens de tous les horizons de la planète. » (p. 20)
On constate, ce qui rassurera les lecteurs intéressés, que l’auteur parle au « je » avec un plaisir évident en s’émancipant des règles associées aux publications académiques. Bien sûr, pour asseoir sa crédibilité, Polèse a recours à des graphiques où des courbes se croisent (à défaut de s’aplatir…). À l’aise avec les données de Statcan, il ne se prive pas d’en faire bon usage, sans en abuser.
L’ouvrage compte 12 chapitres à l’intérieur de trois parties servant à décrire et à évaluer la teneur, non pas d’une, mais de deux révolutions tranquilles. Pour mettre en évidence le chemin parcouru, il a recours à deux observateurs étrangers témoins du Québec des « années de braise ». L’un, le géographe Raoul Blanchard, co-fondateur du département de géographie de l’Université de Montréal parcourra à pied une bonne partie de notre territoire. Le second est le sociologue Everett Hughes fidèle observateur du Québec des années 1930.
La première partie, Avant : prendre la mesure de la profondeur de l’abîme, montre ô combien ! nous sommes partis de loin pour arriver au 22 juin 1960. Le chapitre 3, Voyage dans le Québec profond des années 1930, nous fait entrer dans l’ouvrage de Hugues publié en 1943[1] pour mettre en évidence le chemin parcouru. Ce serait, selon Polèse, un des meilleurs ouvrages sur le Québec des petites villes d’avant la Révolution tranquille. D’après ce sociologue, les Canadiens-français, de par leur culture, ne sont pas faits pour l’entreprise moderne. Ayant entendu dire souvent au temps de mon adolescence que le monde des affaires n’était pas pour nous, il faut croire que les perceptions de Hughes - semblables aux observations de Blanchard -, n’étaient pas sans fondement.
Si Polèse ne craint pas de prendre position par des affirmations basées sur ses travaux ou sur de simples observations autour de lui, il ne manque pas parsemer son ouvrage d’interrogations en avouant ne pas toujours avoir de réponses. J’y vois autant de perches tendues afin que d’autres fournissent leur éclairage. Ainsi, le chapitre 3 se termine par un questionnement se voulant une voie de passage vers la deuxième partie. Se pourrait-il que la subordination à l’Église fût à cette époque plus superficielle que les apparences laissent croire ? Comment expliquer que l’ouvrier docile en arrivera à oser défier son boss tout en enlevant l’étiquette « catholique » au nom de son syndicat ? Et ces entrepreneurs en émergence ici et là, n’apportent-ils pas la preuve que le Canadien-français pouvait faire oublier l’image de « porteurs d’eau » ou encore cette légende voulant qu’il soit né «pour des petits pains»?
Cette deuxième partie, Le grand virage débute avec en exergue une citation de P.E.Trudeau de 1960 : « J’ai confiance (était-ce plutôt un souhait ?) que les Canadiens-français rateront encore une fois le tournant ». Oublions le père de la constitution de 1982 et suivons l’auteur qui n’évoque rien de moins que le mot miracle (p. 96) pour souligner la fin de l’écart social, en termes de revenus, entre francophones et anglophones durant la période 1960-2010. Pour Polèse, notre première révolution initiée par le Rapport Parent[2] a fait son oeuvre. Qu’en est-il alors de la deuxième révolution, tout aussi importante ?
La loi 101 fait l’objet du chapitre 7, La deuxième révolution. Malgré les regrets de Julius Grey d’avoir joué le rôle du « méchant » auprès de la Cour suprême, selon l’auteur, contrairement à la croyance répandue, la loi 101 n’aurait pas été charcutée.
«…la Cour suprême n’a pas touché à l’architecture centrale de la loi 101, qui est restée en place. (…) [L]a loi 101 a été plus qu’un choc thérapeutique, elle a enfanté une nouvelle nation. (pp. 146-147)
Ici, Polèse se fait vraiment jovialiste en ce qui regarde l’impact de la loi 101 sur l’immigration. Oui, les enfants de la loi 101 existent bel et bien, on ne peut le nier, mais jusqu’à quel point vivent-ils pour la majorité d’entre eux en français ? Que restera-t-il de la loi 101 dans 20 ou 30 ans ? En attendant, l’auteur, satisfait des pouvoirs acquis par le Québec pour contrôler son immigration, se permet d’écrire : «Or, l’impossible (l’apprentissage du français de la part des immigrants) qui se réalise, c’est précisément la définition du mot miracle. (p. 149)
Cependant, pour que l’inimaginable se produise, il a fallu en payer le prix : l’exode de 200 000 anglophones unilingues qui contribueront à faire de Toronto la capitale du « plus meilleur pays au monde ». Chiffres à l’appui, Polèse montre que Montréal souffrit d’une léthargie économique s’étendant sur deux décennies. Mais, pourrait-on objecter, que serait Montréal aujourd’hui si autant d’anglophones - qui ne nous aimaient pas -, avaient décidé de demeurer sur place ? Après avoir montré comment le rééquilibrage a pu être possible, dans l’esprit de Polèse : « une grande question reste toujours sans réponse : pourquoi a-t-il réussi ? » (p.167)
Cette interrogation fait l’objet de la troisième partie, À la recherche des racines du miracle. Avec le chapitre 8, Pourquoi des révolutions « tranquilles », le lecteur se voit plongé dans l’après Conquête. Polèse découpe notre histoire en trois phases : l’émergence d’un peuple ; la période de repli (1840-1960) ; le grand virage. Quatorze ans après la Conquête survient l’échec du lobbying de Benjamin Franklin. Ses conséquences ont forcé les instituteurs de mon adolescence à nous objecter : « Quelle langue parlerions-nous si nous étions devenus des Américains ? » Poser la question, c’est y répondre. En accord avec mes profs du secondaire, Polèse décèle deux traits du peuple québécois : « son pragmatisme politique et, en parallèle, sa prudence, maintes fois réaffirmée, quant aux grands projets idéologiques » (p. 225) Il s’inscrit donc en faux par rapport à la thèse de son collègue d’études doctorales Luc Normand Tellier, à qui l’on doit la création du programme d’Études urbaines de l’UQAM, et pour qui nos aïeux ont raté une opportunité des plus prometteuses[3].
Le pragmatisme serait un des quatre gènes de notre ADN politique que l’on retrouve dans un tableau agréablement dépourvu de chiffres. Les trois autres gènes se rapportent à la démographie, à la géopolitique et à l’égalitarisme. Chacun se voit confronté à ses origines et attributs d’une part et aux conséquences liées aux choix collectifs et politiques d’autre part. Sous cette dernière rubrique, en relation avec le gène géopolitique, on peut lire : « Le Canada anglais, partenaire obligé, mais pas forcément ami » (p. 239). Plus loin, il revient là-dessus en soulignant que les mariages de raison sont souvent les plus durables. Point de vue tout aussi intéressant, à propos du gène égalitaire, dans lequel Polèse voit l’origine de notre adhésion à l’idéologie sociale-démocrate et à la politique fiscale qui en découle. Pour se sécuriser, les Québécois ont remplacé l’Église par l’État. L’ouvrage se termine par un fait souligné en double trait comme des rails de chemin de fer, le vrai miracle : « les Québécois ont fait la preuve qu’un peuple peut se libérer et s’imposer sans sacrifier le vivre-ensemble avec d’autres peuples. » (p. 300)
Bref, cet essai de Polèse est à faire lire aux moins de 50 ans pour qu’ils sachent ce qu’a été le Québec d’hier et pour les inciter à passer à leurs enfants le relais conduisant au Québec du futur. Vivement sa traduction pour en faire parvenir des copies à travers le ROC en invitant les Quebec bashers à se réserver une petite gêne !
[1] Traduit et publié chez Boréal en 2014 sous le titre : Rencontre de deux mondes. La crise d’industrialisation du Canada français. [2] Ou, selon certains, par l’émeute du Forum à la suite de la mise au rancart de Maurice Richard ou encore Les insolences du frère Untel. [3] L’émergence de Montréal dans le système nord-américain : 1642-1976, Septentrion, Québec, 528 p
Yorumlar