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Joëlle Quérin

Droit à l'enfant ou droit de l'enfant

Lecture de : Maria de Koninck. Maternité dérobée. Mère porteuse et enfant sur commande, Éditions MultiMondes, 2019 (192 p.)



Alors que Santé Canada a annoncé récemment l’entrée en vigueur prochaine du règlement encadrant les dépenses pouvant être remboursées à une mère porteuse par ceux qui font appel à ses services[1], et que la Ministre québécoise de la Justice planche sur une réforme globale du droit de la famille qui inclura notamment les questions entourant la filiation des enfants nés de cette pratique[2], l’essai de la sociologue Maria de Koninck, Maternité dérobée : Mère porteuse et enfant sur commande, tombe à point. Dans son ouvrage, dont le sous-titre accrocheur résume bien la position de l’auteure, celle-ci s’insurge contre la banalisation et la montée en popularité du recours aux mères porteuses, une pratique qu’elle juge contraire aux droits des femmes, au bien-être des enfants, ainsi qu’à la dignité humaine.


L’introduction permet de poser les termes du débat, en énumérant les diverses expressions utilisées pour nommer une même pratique : gestation pour autrui (GPA), maternité de substitution, mères porteuses, etc. Loin d’être neutres, ces expressions sont révélatrices de la posture des individus et des groupes qui les utilisent. Il aurait d’ailleurs été intéressant de faire la genèse de ces expressions, afin de montrer quand, comment et sous l’influence de quels acteurs elles ont réussi à se tailler une place dans les médias ainsi que dans le vocabulaire courant. La diffusion spectaculaire de l’acronyme GPA au cours des dernières années, est sans aucun doute une victoire des défenseurs de cette pratique, qui ont trouvé une façon de la nommer en évacuant toute référence à la maternité, et même, comme le souligne la sociologue, à la grossesse comme expérience humaine, le terme « gestation » étant issu du monde animal (p.27).


Les premières pages lui permettent également de brosser un portrait général du recours aux mères porteuses et de son encadrement juridique au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde. Elle aborde notamment le cas fascinant de l’Inde, qui interdit désormais aux étrangers d’avoir recours à une mère porteuse dans ce pays, à la suite des dénonciations des conditions d’asservissement imposées aux femmes qui louaient leur utérus à des couples occidentaux. Malgré cette fermeture du marché indien, le recours aux mères porteuses demeure en expansion, les couples se déplaçant vers les pays où la pratique est la plus accessible, conseillés par des agences et des groupes militants qui en font la promotion sur le web.


Cet état des lieux dressé par de Koninck s’accompagne d’une description des changements sociaux qui ont favorisé le développement de cette pratique, qu’il s’agisse de la procréation médicalement assistée, de l’affirmation des droits individuels, en passant par la mondialisation, le néolibéralisme et les « études de genre ». Si l’on comprend aisément que la mondialisation néolibérale encourage le commerce des mères porteuses à l’échelle planétaire, en s’appuyant sur les inégalités sociales et en les accentuant, d’autres pistes de réflexion prometteuses auraient mérité davantage de développement. En particulier, l’idée selon laquelle les « études de genre » et le recours aux mères porteuses ont en commun un rapport au féminin faisant abstraction de sa dimension corporelle (p.48) aurait pu être approfondie.


Le deuxième chapitre permet de plonger au cœur du débat. L’auteure y développe un argumentaire étoffé et sans compromis contre le recours aux mères porteuses. En s’appuyant sur des exemples de clauses particulièrement contraignantes incluses dans de véritables contrats de mère porteuse, de Koninck parvient à démontrer qu’un rapport de servitude unit la mère porteuse aux parents dits « d’intention », qu’elle qualifie judicieusement de « commanditaires ». Cela lui permet de répliquer habilement à l’argument selon lequel choisir d’être mère porteuse serait une façon pour une femme de « disposer librement de son corps » :


Accepter de devenir mère porteuse, soit de se mettre à la disposition de commanditaires pour porter un enfant qu’elle leur remettra par la suite, consiste plutôt à accepter une certaine prise de contrôle de sa personne pendant neuf mois, puisqu’il ne s’agit pas de faire quelque chose mais bien d’être le moyen de satisfaire une demande, la grossesse étant un état. (p.80)


Ce chapitre présente également, quoique trop brièvement, les principales motivations mises de l’avant par les femmes qui ont accepté de devenir mère porteuse, soit « faire un don, vivre une autre expérience de grossesse [et] s’assurer un revenu » (p.86). Une description plus détaillée du discours de ces femmes, appuyée sur davantage d’exemples et de témoignages, aurait permis de mieux le comprendre, et d’en offrir une analyse critique plus complète.


De Koninck s’inquiète également des impacts du recours aux mères porteuses sur les enfants. S’appuyant principalement sur un rapport du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, elle insiste sur les droits des enfants ainsi que sur leur bien-être, qu’elle oppose à un prétendu « droit à l’enfant ». Cet argument est absolument essentiel : puisque l’enfant « n’est ni un bien, ni un service que l’État peut garantir ou fournir, mais un être humain titulaire de droit » (Conseil des droits de l’homme, cité par de Koninck, p.115), il ne peut donc pas être utilisé comme un moyen au service du « droit » d’autrui.


Si l’on convient qu’avoir un enfant n’est pas un droit, en être privé ne peut être considéré comme une discrimination. De Koninck rejette ainsi l’argument mis de l’avant par certains couples de même sexe, qui voient le recours aux mères porteuses comme l’unique façon de remédier à leur « infertilité sociale » (p.135). Pour ces couples, la sociologue défend plutôt l’idée du recours à l’adoption, qui permet de combler les besoins d’enfants déjà nés en leur offrant une famille, plutôt que la planification contractuelle de l’abandon d’un enfant par la femme qui l’a mis au monde. Les États devraient ainsi, selon elle, redoubler d’effort pour lever les barrières à l’adoption, tant nationale qu’internationale.


L’ouvrage convainc aisément des dangers liés au recours aux mères porteuses, ainsi que du « caractère illusoire d’un éventuel encadrement » (p.145). Il faut saluer le courage de l’auteure, qui résiste au discours dominant de l’époque actuelle, selon lequel il vaut toujours mieux encadrer qu’interdire, qu’il soit question de drogue, de prostitution ou de reproduction. La critique de la sociologue ne se limite d’ailleurs pas aux excès ou aux dérives du recours aux mères porteuses, ni à sa seule version commerciale, mais s’attaque à ses fondements mêmes. Cela exclut toute forme d’encadrement, qui accorderait de facto une légitimité à la pratique : « un procédé socialement illégitime ne devrait jamais devenir légal » (p.159). Voilà qui a le mérite d’être clair en cette ère de relativisme moral.


En conformité avec ses convictions humanistes et féministes, de Koninck plaide pour une interdiction totale, à l’échelle internationale, du recours aux mères porteuses, que celles-ci soient rémunérées ou non (p.173). Toutefois, avant que ce combat essentiel ne soit remporté, des questions épineuses demeurent en suspens : Comment contrecarrer, à court terme, les stratégies des commanditaires? Que faire des enfants issus d’une mère porteuse? Comment les protéger? À qui faut-il les confier? Actuellement, des juges québécois sont confrontés à des couples qui demandent d’adopter l’enfant qu’ils ont commandité, avec l’accord de la femme qui lui a donné naissance. Alors que les juges ont tendance à reconnaître ce fait accompli, de Koninck leur recommande plutôt d’interpréter de façon plus restrictive la loi québécoise selon laquelle les contrats de mère porteuse n’ont aucune valeur légale. Il vaudrait mieux, selon elle, « confier l’enfant à des parents respectueux de la loi et des valeurs qui y sont inscrites » (p.161), autrement dit, à des couples ayant respecté les procédures d’adoption prévues par la loi.


Maria de Koninck se défend d’adopter une position trop radicale, faisant valoir que « si les contrats avec des mères porteuses sont considérés comme nuls, c’est que la société estime qu’il s’agit là d’une pratique qui respecte ses valeurs » (p.161). Or, il est loin d’être certain que les Québécois appuient toujours cette loi de façon majoritaire, et surtout, qu’ils adhèrent à l’interprétation qu’en propose la sociologue. L’un des arguments souvent invoqués pour défendre la nullité des contrats est la nécessité de protéger les mères porteuses qui n’en respecteraient pas les termes. Par exemples, la loi québécoise permet d’éviter qu’une femme soit poursuivie et sanctionnée pour avoir refusé de subir certains examens ou traitements médicaux exigés par ses commanditaires, pour avoir interrompu une grossesse à risque, ou pour avoir décidé de garder son enfant. S’il est possible que les Québécois adhèrent toujours à cet argument, rien ne permet de croire qu’ils seraient prêts à contrecarrer le projet parental d’un couple auquel une femme aurait cédé son enfant de plein gré. La plupart considéreraient sans doute, à l’instar des juges actuels, que l’acceptation du fait accompli serait dans l’intérêt supérieur de l’enfant. On aura beau invoquer la dignité humaine, cela risque d’avoir bien peu de poids aux yeux de l’opinion publique face aux implorations d’un couple prêt à tout pour avoir un enfant.








[1] https://www.canada.ca/content/dam/hc-sc/documents/programs/consultation-reimbursement-assisted-human-reproduction/R-Regulations-guidance-document-fra.pdf

[2] https://www.justice.gouv.qc.ca/ministere/dossiers/famille/

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