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  • Alexandre Poulin

Est-ce la fin des exils ?

Lecture de : Jean-Martin Aussant, La fin des exils. Résister à l’imposture des peurs. Avec des œuvres de Marc Séguin, Montréal, Atelier 10, 2017, 102 p.


Il est parfois des personnages publics dont on entend plus ou moins parler et dont on aurait envie de sonder le fond de la pensée. Ils sont tapis dans l’ombre et leur retrait semble les revêtir d’une force dormante. Il en est ainsi de celui qui, au moment de l’oraison funèbre de Jacques Parizeau en 2015, appelait de ses vœux, « la fin des exils. De tous les exils, qu’ils soient géographiques ou intellectuels[1] » et qui mit fin le mois suivant à son exil londonien, où il travaillait à la City, pour rentrer au Québec. Ancien député du Parti québécois, fondateur du parti Option nationale et maintenant directeur du Chantier de l’économie sociale, il ne s’est pas passé une année depuis son départ de la vie politique, en 2013, que Jean-Martin Aussant n’ait été l’objet de rumeurs au sujet de son retour en politique. Plutôt que de l’amener à plonger dans l’arène politique, ce que son discours laissait présager, cette « fin des exils » a atterri en librairie après être devenue un livre. Dans ce livre, l’exil qu’évoque Jean-Martin Aussant est avant tout intellectuel, bien que cette notion ait d’abord une signification géographique.



Retourner à la vraie politique et à la mesure


La vraie politique est noble. Axée sur la recherche de l’intérêt collectif, création du beau[2], c’est « celle qui insuffle un sentiment de confiance en l’avenir » (p. 15).




« Parce que si certains pensent encore que l'individualisme doit primer, ils oublient que sans la collectivité, l'individu n'est pas grand-chose. » (Jean-Martin Aussant, La fin des exils. Résister à l’imposture des peurs, Atelier 10, 2017, p. 13)



Un gouvernement élu devrait faire ce qu’il a promis durant la campagne électorale, car des convictions clairement affichées peuvent faire gagner des élections. Reporter aux calendes grecques le débat sur la souveraineté lorsque l’on est indépendantiste dévalue au contraire la politique. À l’avenir, il faudra, estime Aussant, davantage d’audace. En outre, les discours politiques, juge-t-il, manquent souvent de mesure. Pour certains, la société actuelle est idéale et elle serait à risque si le gouvernement était remplacé. Pour d’autres, tout va mal par la seule faute du gouvernement qu’il faut à tout prix remplacer. Selon l’auteur, cette méthode, celle de la stratégie de la peur et de l’évocation de l’hécatombe, éloigne les citoyens du débat public. Les campagnes électorales se transforment « en concours de la plus grande menace à éviter » (p. 22). Pourtant, des débats nuancés et constructifs favoriseraient certainement une plus grande participation démocratique. Les élus sont, croit-il, victimes de deux peurs. La première est celle de ne pas appartenir au club des économistes ; la deuxième est celle de se définir. Un bagage économique est certes utile, mais il n’est pas garant de la capacité à porter de grands projets politiques. La population quant à elle est en droit d’avoir des élus qui ne sont pas prisonniers de « l’extrême-centre stérile » (p. 23). Chose certaine, Aussant n’en est pas prisonnier pour sa part et l’affiche clairement : « Ce qui m’amène à me dire progressiste, c’est entre autres qu’il m’a toujours paru évident que les conservateurs n’avaient que les progressistes à remercier : si nos ancêtres avaient été conservateurs, nous n’en serions jamais arrivés à la civilisation qu’ils veulent aujourd’hui sauvegarder. » (p. 24)




Cynisme et économisme


Le cynisme monte en flèche. S’il se faisait imposer la couleur de sa voiture, le commun des mortels serait de bien mauvaise humeur. Comment peut-il alors ne pas s’intéresser à la politique, puisque « c’est elle qui détermine les lois auxquelles nous sommes assujettis, qui veille aux systèmes de santé et d’éducation, qui gère des milliards de dollars de fonds publics » ? (p. 26) Le taux de participation affiche pourtant depuis des années une tendance à la baisse. Or, les changements de gouvernement se produisent surtout lorsque la participation électorale est élevée. Par exemple, lorsque le gouvernement du Parti québécois a été élu en 1976, le taux de participation était supérieur à 85 %. La clef du changement appartient donc à une minorité d’électeurs abstentionnistes et c’est pourquoi, croit Aussant, un parti pourrait volontairement alimenter le cynisme afin que le taux de participation demeure faible. Mais un tel cynisme a deux conséquences : il favorise un faible taux de participation ainsi que l’orphelinat politique. Selon lui, il est grand temps par conséquent que le mode de scrutin proportionnel, qui permettrait une allocation des sièges reflétant le vote populaire, soit instauré.


Faut-il un homme d’affaires à la tête de l’État ? L’entreprise privée tend à faire plus avec moins, ce qui n’est pas du tout conciliable avec la santé et l’éducation. Dans la même veine, certains ont tendance à croire que l’efficacité du secteur privé est supérieure à celle du secteur public bien que seules deux entreprises sur dix vivent plus de dix ans. Et qu’en est-il du principe de l’utilisateur-payeur ? Là-dessus, Aussant est très clair : la collectivité bénéficie des services publics, c’est elle qui doit en être la source de financement. En matière de ressources naturelles, les Québécois sont comme en exil, privés qu’ils sont du plein droit de propriété sur leur territoire. Pour y remédier, Aussant propose la mise sur pied d’une société d’État qui serait majoritaire dans tous les projets liés aux ressources naturelles. Une telle solution ne relèverait selon l’auteur ni du socialisme ni du communisme, il s’agirait simplement de bon sens économique. Cette société d’État, calquée sur le modèle d’Hydro-Québec et qui préserverait la place du secteur privé, « superviserait l’exploitation de toutes les ressources naturelles collectives du Québec » (p. 37). Sur un autre plan, la gratuité scolaire, outre qu’elle favoriserait un savoir-faire de qualité, contribuerait à accroître la ressource la plus naturelle que nous ayons : notre matière grise. D’où l’intérêt, selon Aussant, de son implantation du CPE au doctorat.




Pour une information soignée et un nouveau contrat social


L’information indépendante se fait de plus en plus rare. Le journalisme s’en tient de moins en moins aux faits et cela contribue au cynisme. Analyser les politiques proposées sous l’angle de la stratégie partisane plutôt que sous celui de l’intérêt collectif en est un exemple. Il s’agit là encore d’un exil, celui du journalisme factuel, dont il faut revenir, d’où la nécessité d’une « couverture moins sensationnaliste, voire plus objective et documentée [qui] modèrerait bien des perceptions négatives » (p. 43). Aussant donne plusieurs exemples de « fausseté intégrée », dont l’état prétendument désastreux des finances publiques du Québec et la désuétude de la question nationale. Pourtant, argue-t-il, le Québec a une meilleure santé financière que la plupart des pays riches et il n’est pas un jour qui passe sans qu’on dise que la question nationale n’est plus d’actualité, ce qui semble a contrario prouver, puisqu’on se donne tant de mal à la combattre, qu’elle a encore sa pertinence.


S’agissant du nouveau contrat social qu’il est impérieux d’implanter, la richesse doit être, estime Aussant, mieux distribuée et c’est pourquoi les sociétés modernes doivent considérer l’idée d’un revenu maximum acceptable. Cette idée ne doit cependant pas masquer l’importance de hausser le salaire minimum. Une hausse significative du salaire minimum serait bonne pour deux raisons : allouer un meilleur pouvoir d’achat aux ménages à faible revenu et ainsi stimuler la consommation étant donné que ces ménages dépenseront les dollars additionnels qu’ils gagneront. Gagner deux cents fois plus que le travailleur moyen, c’est gagner le salaire annuel de ce dernier en une seule journée : autant d’argent n’augmente même pas la qualité de vie. Alors, comment fixer le revenu maximum raisonnable ? L’idée n’est pas nouvelle ; elle remonte même à Aristote. Aussant croit que le ratio doit être lié au travailleur moyen national. Admettons que le revenu annuel moyen soit de 50 000 $. Un ratio de 50 ferait en sorte que le revenu maximum soit de 2 500 000 $ par année. Peu importe la méthode, selon l’auteur, il faut mettre fin à l’inacceptable. Le prochain contrat social doit donc être économique afin de combattre l’une des plus grandes violences de l’époque, à savoir la violence économique.




Transformer la société : nouveau modèle de développement et faire son LIT


Redessiner la société et non s’adapter à elle devrait être l’une de nos priorités, selon Jean-Martin Aussant.



« Quand on a un caillou dans son soulier, on peut décider de nier son existence, s'entêter à adapter sa démarche pour réduire l'inconfort, ou simplement l'enlever pour marcher normalement. » (Jean-Martin Aussant, La fin des exils. Résister à l’imposture des peurs, Atelier 10, 2017, p. 91)



Varier les cursus au cégep et à l’université pour que ne soient plus enseignés exclusivement des modèles économiques dogmatiques serait une bonne chose. Trois piliers tiennent la société, selon Mintzberg : les piliers gouvernemental, privé et pluriel (collectif) et il s’agit, selon Aussant, de les rééquilibrer. Le pilier collectif doit prendre davantage de place : les entreprises collectives créent beaucoup de richesses tout en évitant leur concentration dans quelques mains. Sait-on, par exemple, que le Québec est un chef de file mondial en entreprenariat collectif ? Cela représente 10 % de l’économie québécoise et un chiffre d’affaires de 40 milliards de dollars. Pour prendre une image : l’entreprenariat collectif pèse plus lourd dans la balance qu’un domaine important comme celui de la construction. Aussant invite donc les Québécois à passer d’une « société économique à une économie sociale » (p. 72).


En outre, la société québécoise doit construire l’avenir plutôt que le subir. À ce jour, le plus grand exil collectif demeure « le contrôle incomplet de notre destinée comme peuple » (p. 76).



« Avant de choisir la gauche ou la droite, il faut pouvoir choisir; avant d'être à gauche ou à droite, il faut être. » (Jean-Martin Aussant, La fin des exils. Résister à l’imposture des peurs, Atelier 10, 2017, p. 94)



La situation du Québec n’est pas désespérée, « mais le désir d’indépendance n’est pas réservé aux peuples malheureux ou exploités » (p. 77). Pourquoi les Québécois devraient-ils renoncer à faire la souveraineté et comment peuvent-ils penser qu’ils regretteront ensuite de l’avoir faite ? A-t-on déjà vu un nouveau pays redevenir, quelques années après, une province, un canton ou une simple région ? Ce que le Québec doit faire, c’est son LIT, soit rapatrier ses lois, ses impôts et ses traités, ce qui constitue la souveraineté. Pour convaincre ses lecteurs, Aussant cible ensuite 14 peurs habituelles qui entourent l’idée de souveraineté et tente de les démonter. Mentionnons-en quelques-unes : l’économie, le dollar canadien, les finances publiques, l’armée, les pensions et la péréquation. Se disant en désaccord avec l’affirmation de René Lévesque selon laquelle le Québec serait « quelque chose comme un grand peuple », Aussant conclut que le Québec n’est « rien de moins qu’un géant » (p. 88).



L’exil n’est pas terminé


Le plus grand mérite de l’opuscule de Jean-Martin Aussant est de dégager un optimisme foudroyant à une époque où la morosité et le désespoir sont monnaie courante. Pour le reste, il reprend pour l’essentiel les idées qu’il a véhiculées durant sa vie politique au Parti québécois et à Option nationale. Quiconque a suivi les débats entourant la hausse des frais de scolarité et l’élection québécoise de 2012 ne sera pas surpris de ce qu’il lira. Aussant a les mêmes convictions ; il les affirme et croit en elles. En ce sens, son livre est un bon résumé de sa pensée politique. Un malaise demeure cependant à la lecture : mis à part certaines idées nouvelles, comme la création d’une société d’État qui superviserait l’exploitation des ressources naturelles, plusieurs textes donnent l’impression d’être une compilation d’anciens discours. Ses constats sur le détournement de la vraie politique, le cynisme et le journalisme de sensation ne sont guère originaux. L’auteur semble en outre obsédé par la nouveauté et le changement, d’où son positionnement revendiqué à la gauche du spectre politique. Cependant, sa flèche décochée envers les conservateurs selon laquelle ils n’auraient que les progressistes à remercier, car sans ces derniers ils n’auraient rien à sauvegarder, est contradictoire pour deux raisons. La première est qu’Aussant déplore que les politiciens se définissent par ce qu’ils ne sont pas (p. 23-24). Pourquoi alors se dit-il progressiste s’il n’a d’autre définition à en proposer que celle de n’être pas conservateur ? La deuxième est que l’auteur semble méconnaître le passé québécois d’avant la Révolution tranquille. Sans une substantialisation de l’identité collective après l’Acte d’Union, notamment par l’Église catholique, l’existence politique du Québec ne serait certainement plus à l’horizon aujourd’hui. Doit-on remercier les progressistes de l’époque qui souhaitaient l’annexion aux États-Unis ? Enfin, l’affirmation selon laquelle le Québec n’est « rien de moins qu’un géant » (p. 88) me paraît être exagérée et tout à fait symptomatique de la représentation ambivalente que les Québécois ont d’eux-mêmes : sommes-nous grands ou petits ? Le sentiment de la petitesse, propre aux petites nations, est lié à l’incertitude d’être là demain. Le discours de la grandeur n’est que l’envers du mépris de soi : il empêche de faire face à nos doutes. À quand un discours à notre propre mesure ? C’est là, me semble-t-il, la première étape avant de mettre fin à l’exil.


[1] Extrait du discours prononcé par Jean-Martin Aussant, le 9 juin 2015, aux funérailles de Jacques Parizeau à l’église Saint-Germain d’Outremont.

[2] L’expression n’est pas de moi, mais d’Aussant qui la reprend de Camil Bouchard.

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